Au cours d'une visite à l'abbaye de Sénanque (Vaucluse), j'ai découvert une brochure et un livre sur le touareg (Les T.T.P. du Père de Foucauld, Editions EDISUD à Aix-en-Provence) et je ne tardais pas à constater qu'un très grand nombre de mots berbères présentaient des analogies avec leurs homologues basques malgré une structure syntactique fort différente due à une longue cohabitation avec l'arabe comparable à celle du saxon avec le franco-normand. Que reste-t-il de la grammaire germanique dans l'anglais moderne ?
Le berbère est-il sémitique ?
L'éminent sémitologue David COHEN écrit dans l'Encyclopédie de la Pléiade ("Le Langage") :
"Il y a entre le sémitique et le berbère des correspondances dans les structures générales, le fonctionnement et la réalisation des formes qui semblent pouvoir (*) appuyer la thèse de l'unité génétique".
On ne saurait être plus prudent dans l'énoncé d'une opinion, surtout si l'on ajoute, comme le fait ce savant, que le chamito-sémitique est un "arbitraire avec éclat, biblique" (Les passages soulignés ne le sont pas dans le texte).
Si ce linguiste de renom se permet ainsi, non sans humour, de remonter au Déluge, nous ne voyons pas pourquoi les novices que nous sommes n'auraient pas le droit de commencer leur quête à une époque moins reculée, disons à l'aube du second millénaire avant notre ère, en ces temps primordiaux où nos "pères" indo-européens ou sémites en étaient encore à rêver de conquêtes quelque part entre la Caspienne et les rivages de la Méditerranée moyen-orientale.
Le bassin méditerranéen n'était pas un désert. Libous, Etrusques, Crétois, Ibères et (peut-être devrions-nous écrire "ou") Basques ne savaient pas encore à quelle sauce ils seraient mangés...
Un petit nombre, irons-nous jusqu'à dire des "happy few" , peuples des îles, des monts et des déserts ont réussi à se maintenir jusqu'à nous. Parmi eux, les Basques et les Berbères.
Des Libous, ennemis des pharaons, il ne reste plus qu'un nom: la Libye. La langue étrusque conserve ses mystères et si nous en connaissons quelques numéraux, nous ne savons pas dans quel ordre les mettre ! Les textes crétois en linéaire "A", antérieurs à l'invasion des Indo-européens de Mycène, peuvent être lus mais leur sens nous échappe encore. Le petit nombre d'inscriptions ibères dont nous disposons ne permettent pas d'établir avec certitude d' éventuelles parentés.
Nous nous contenterons pour le moment d'établir un catalogue des concordances que nous pensons avoir trouvées entre le basque et le touareg. Seul, le fonds lexical primitif doit être pris en considération à l'exclusion des termes empruntés aux langues étrangères (arabe et français en particulier). Ce fonds lexical n'est absolument pas sémitique, pas plus que celui du basque n'est indo-européen.
Il n'est pas question d'essayer d'établir une systématisation des phénomènes observés bien que certains soient assez répétitifs pour qu'on
cesse de les tenir pour fortuits. Je pense spécialement aux "clusils" (§) que je crois déceler dans HAMAR <-> MERAW et (H)AUR <-> ARW . Sans entrer dans le détail, je signale par (*) les termes qui devraient être étudiés de plus près.
(§) terme emprunté à la philologie des langues finno-ougriennes.
Français ........Touareg .......BASQUE (Le G touareg équivaut à peu près au "dj" français et "aw" se prononce comme "au" en allemand) |
aiguille
ou alêne ..istn- sten- ..EZTEN ami....a-mîdi...MAITE arbre ...saGar (pl.).. SAGAR (*) arriver ...fel.... HEL attacher, coller ...aGi ....ATXI attendre, patienter ...zeyder ....HAIDURU bélier ...êkrer, aharu .AKER / AHARI bien,..beau ....iGriw ....EDER / EJJER blé ...êred ...ARTO (maïs) boeuf....esu (t-esu-t "vache") ...ZEZEN bois.... saRir ....ZUR boucher, fermer ehed HETSI cendre êZeD HAUTS cerf .... eReyd (chevreau) ...OREIN choir, tomber eres, ruhu ERORI corde, laisse hûhal UHAL couler (cf. fleuve) eGer IXURI, JARIO couper eGbet, enked KEN EBAKI courir vite azl ZAL (zaldi "coursier") dire enn ERRAN, ESAN dix meraw HAMAR dormir eTTes ETZAN (être couché) drap axawlil OIHAL enfant araw (H)AUR ennemi henGa ETSAI éternuer usraG urtzinz faire eG / ekn- EGIN femme t-ame-t (t ...t = féminin) EME fénec axôrhi AZERI (renard) fil ehed HEDE fleuve eGerew (**) cf. supra "couler" frère aña ANAI gagner, vaincre ernu, îrn IRabazi gale ehyeD HAZT - gazelle ahenkoD AHUNTZ (chèvre) gerbe ezdem ezzem AZAU goutte eTTeb ITOITZ grain(e) âllun ALE gris (cf. vieux) heres UHER cf. ZAHAR jarret ess IZTA jaune cf. rouge irwaR cf. ihwaR HORI cf. GORRI jeter enDw ANDEatu lait ax ESNE lieu edeg TOKI TEGI lièvre t-emerwel-t (t...t = féminin) ERBI loup (cynhyène) aRsi HARTZ (ours) (***) mâchoire amâdel MATEL-(HEZUR) maître mess messaw MAISU |
malade
iran -urn- ERI manger kcen JAN mesure eRwr arau mieux sûf HOBE miroir -îsi- IZPIN mois (lunaire) -alli- -ilil- HILabete (****) mouiller ebdeG BUSTI mûr eñ ON (cf. ON-du "mûrir") nom isem IZEN odeur (puanteur) ûxem USAIN USNA ombre têle ITZAL ongle êsker AZAZKAL or (métal) ûreR URRE paraître uman OMEN "il paraît" paralyser ebden ENBALDI-tu peigne(r) -erras- ORRAZE IRESI penser cf. odeur urdu USTE père ti / tey AITA piler pilon -ehun- ehaH EHO pintade poule aylal OILAL place cf. lieu tâGG TEGI pluie cf. couler hreGw EURI possibilité eHhel AHAL priser, prendre sar HAR pur heDDiG HUTS refuser uGy UKO / UKA rester eqqaym EGON rond berury BIRIBIL ronfler suñxer ZURRUNGA- rouge cf. jaune haggeR GORRI rut erwes OHARA sec dur eqqar gargar IGAR souris akûtey SAGU ***** tambour eTTebel ATABAL tente, velum ehen eha(kit) EHUN traire eZZeG JEIXI JAITZI trier, choisir ebres BEREXI trouver eGraw AURKItu vallée eRahar HARAN veau ahRu ARATXE XAHAL vieillesse (t)uhere ZAHAR vomir uqqu OKA egin |
REMARQUES
(*) Le pommier est un arbre primordial. La racine se retrouve dans le sanscrit PHALA- (Nt.) "fruit" qui est de la même famille que l'allemand "Apfel", anglais "apple", russe ïabloko. Cf. "Apollon".
(**) En touareg, ce mot désigne aussi le Niger, le fleuve par excellence. Rien à voir donc avec le latin "niger" et la race noire !
(***) Comme pour "renard" et "fénec", "gazelle" et "chèvre", il peut y avoir confusion entre "ours" et "loup", selon les habitats. Beaucoup de gens assimilent les grenouilles à des crapauds. Les peuples primitifs n'étaient pas aussi exigeants que nous !
(****) cf. finnois KILLA. De même peut-on rapprocher parmi de nombreux autres mots le basque ERHI "doigt" du mordve "sur", hongrois "ur" et le basque HIL "mort" du finnois "kuol", hongrois "hal/hol", etc. Rien ne s'oppose à l'idée que le berbère, le basque et les langues ouraliennes se rattachent à un immense ensemble préhistorique aujourd'hui refoulé sur les "bordures" du domaine indo-européen mais qui allait primitivement de l'Europe aux confins de l'Asie et jusqu'en Alaska ... Mais cette question fera l'objet d'une autre étude linguistique et anthropologique.
(*****) Notre mot "souris" pose problème. le latin "sorix" double la racine MUS qui , elle, est indo-européenne.
SORIX, par contre, rappelle le hongrois " äger " issu de *SÄGER , racine finno-ougrienne. Or ce mot évoque le basque SAGU et le touareg AKÛTEY. Cependant, en sanscrit, à côté du mot MÛShIKA- existe AKHU- "rat"... !!!
N'oublions pas que le sanscrit, bien que proche de l'indo-européen commun, a intégré bon nombre de racines étrangères et ce à une époque ancienne, difficile à préciser. Même problème pour le mot "ville" qui n'est sans doute pas d'origine indo-européenne: mordve "vele", hongrois "vâr", basque HIRI très proche de l'ibère. Notre Collioure contient la forme ibère de ce mot dans sa terminaison.
Mon but aura été atteint si cette courte étude a pu éveiller votre curiosité et stimuler votre imagination. N'hésitez pas à me faire part de vos observations, critiques et suggestions.